Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Serge Escots - 27 juin 2024

FRAGMENTS #3 – Supervision dans une MECS quelque part en France

Supervision dans une MECS quelque part en France : un peu d’anthropologie des systèmes de parenté n’est pas négligeable.

Une petite fille camerounaise âgée de 8 ans sur les papiers et de 10 de l’avis de médecins qui l’ont rencontrée est accueillie en MECS depuis plusieurs années. Elle est arrivée en France avec sa mère. Le placement a été ordonnée pour des raisons liées à la précarité et à la situation administrative de la famille. À cela il faut ajouter de la maltraitance, mais difficile à qualifier car lorsque l’on interroge sa nature, il n’est pas clair du tout d’établir de quoi il s’agit. D’ailleurs, rien n’est clair. À commencer par la filiation. Est-ce vraiment sa mère s’interroge les professionnel·le·s ? Elle l’est sur le livret de famille en sa possession, mais beaucoup de signes sur ce document font profondément douter de son authenticité. La mère elle-même est flou, parle de plusieurs mères, que c’est comme ça en Afrique. L’équipe est perdue et la petite fille s’interroge, celle qu’elle appelle parfois maman et parfois pas, est-elle vraiment sa mère ? Investis par la question de l’enfant, les professionnel·le·s réclament un test génétique pour attester biologiquement de la filiation – ou plutôt de la non-filiation puisque c’est ce qu’ils suspectent.
La mère est peu investie dans la relation avec l’équipe et dans la pourvoyance des besoins de sa fille. L’équipe fait l’hypothèse que la filiation de la mère à l’enfant a comme valeur pour cette femme d’obtenir la nationalité française.
La petite fille manifeste beaucoup de troubles et notamment oppositionnels. Elle vit des réminiscences et des reviviscentes post traumatiques en lien au voyage entre le Cameroun et la France. L’équipe ne porte pas crédit à l’histoire de cette mère et les professionnel·le·s n’ont pas à ce jour établit une relation de qualité avec elle. Demandons-nous ce que cette femme peut penser de ce que les professionnel·le·s pensent d’elle ? Du fait qu’elle n’est pas la mère et qu’elle instrumentalise la fille au profit de sa situation administrative. Du point de vue éthique ce n’est pas une opinion très sympathique. Si je pensais que les professionnel·le·s ont cette image de moi, je ne me précipiterais pas pour engager un dialogue afin de construire avec l’équipe un cadre de pourvoyance au besoin de l’enfant. Pourtant des besoins auxquels cette mère pourrait pourvoir et pour lesquels l’équipe ne peut pas grand-chose si ce n’est de construire avec cette mère les conditions de la pourvoyance, il y en a et pas des moindres. Cette petite fille a un terrible besoin de se situer dans sa filiation et de pouvoir donner du sens à sa présence ici, loin des siens au Cameroun. « Tu sais je veux mourir, comme ça je retrouverais ma famille au village », dit-elle à son éducatrice préférée. Lors de la dernière visite chez sa mère, elle est revenue à la MECS contente de raconter ce qu’elle avait fait de bien avec sa mère.
Avec sa mère ? Nous ne savons rien sur la région du Cameroun d’où vient cette famille et encore moins sur sa langue et sa culture d’origine. Le nom de famille n’est pas répertorié dans les principaux noms au Cameroun en revanche, il est fréquent au Bénin.
Quoi qu’il en soit, parmi les différents systèmes de terminologie de parenté présent au Cameroun, le système hawaïen est présent dans différentes régions, tant au nord qu’au sud. Qu’est-ce qu’un système de terminologie de parenté ? C’est ce qui sert à désigner les places dans la famille par rapport à un enfant donné (appelé Ego en anthropologie) : qui est en place de mère, de père, de frère ou de sœur, cousin, cousine, etc. pour l’enfant.
Il y a 7 principaux systèmes de terminologie de parenté connus chez Homo sapiens. Le système hawaïen à cette particularité que les frères et sœurs des pères et mères, ainsi que les époux et épouses des frères et sœurs des pères et mères sont des pères et mères pour Ego. Je ne sais pas si c’est le cas de cette petite fille. Mais cela vaudrait la peine d’avoir une discussion à ce sujet avec la mère, afin de faire coexister pour les personnes qui s’occupent de cette petite fille le système de parenté qu’elle a dans la tête avec celui qu’il y a autour d’elle avec son seul papa et sa seule maman ce qui doit être très déconcertant. Et puis sur la base de cette reconnaissance de la valeur de son système familial, peut-être qu’une alliance avec cette mère (tante pour notre système de parenté) pourrait se construire pour lui permettre de raconter l’histoire familiale de cette petite fille et l’histoire de son exil.