Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 22 décembre 2022

Debout sur le vent #1 – Ce qui lie oblige

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« Humaniser la folie,
Désaliéner les lieux de soins… »  claironnait  François Tosquelles !

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CE QUI LIE OBLIGE

« Tu es venu dans notre maison, famille et vie, six ans, si menu, fluet avec une peau si blanche et transparente et ces yeux…
C’est ce regard que j’ai capté, quel était son message…
Les soins, attentions, l’écoute, les regards, les stimulations, les mots doux, la patience,
les encouragements, le portage, les jeux, les apprentissages, nous te les donnons.
Nous observons tes réponses, tes gestes, tes cris, ton agitation, tes hurlements, tes refus, tes terreurs nocturnes.
Il nous a fallu du temps pour te comprendre, tu nous l’a accordé.

Tu avais ton propre langage, ta gestuelle, ton corps parlait, autant de signifiants que nos mots.
Comment en être sur ? Traduire, accompagner, proposer des réponses, essayer encore, vérifier, tes sourires étaient notre récompense.

Nous passions devant le cimetière lors d’une de nos ballades, un jour, je te dis, c’est le jardin des morts, ta maman aussi est dans un jardin.

Là tu t’arrêtes, tu regardes, tu me regardes et je comprends que tu ne sais pas.
Tu avais quatre ans, elle est décédée dans un contexte difficile, tu as été éloigné, ton père a eu ces mots “maman est partie”.

Je visualise le gouffre dans lequel tu plonges la nuit. Nous pensons que tu as besoin de savoir.
Devant la tombe de ta maman, tu pleures et tu dis « c’est dommage ». Tes terreurs nocturnes ont cessé.
Le temps nous accompagne, nous enveloppe de tendresse, d’affection et de confiance.

Nous construisons avec toi un lien d’attachement qui s’enracine chaque année.
Tes intuitions sont fortes et justes nous le voyons.
Tu es une personne qui sait à présent utiliser quelques mots : “faim, fatigué, dormir, jouer, partir, à la maison”
Ces quelques mots te permettent une adaptation dans d’autres lieux avec d’autres personnes qui les entendent,
les respectent car ils sont déterminants pour toi.
Nous sommes heureux de t’avoir accompagné depuis vingt ans. »

C Y, assistante familiale

 

Pas un mot ne permet de nommer
les pas dans le sillon
d’une course ahurie
le cri comme partage
oblige le silence
à rester dans le manque.
… mais ce qui lie oblige.

Bernard Garaut

 

« …je compris ce jour-là que supposer l’autre
c’était déjà lui manquer de respect. »

Fernand Deligny