Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 29 août 2024

Debout sur le vent #18 – HENRI

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« …Humaniser la folie,

Désaliéner les lieux de soins… » claironnait  François Tosquelles !

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HENRI

« Alors, inscris en tête de première
page/moi, je ne hais pas mes semblables/et je
n’agresse personne.»
Mahmoud Darwich (1964)

Lettre à un ami disparu.

Dans cette violente et meurtrière période, revenir avec
toi, proche, est comme un recours.

Un beau jour de 1972 tu nous attelles à consulter le
fond des choses. Transparent. Dans le désir de la trace.
Le regard réitère et reste chaque fois une première fois
Tu es poète.
Tu tisses les mots comme d’autres tricotent des langes
dirait F. Tosquelles…
Tu tisses, tu métisses.
Jusqu’à apprendre à parler, lire et écrire
l’Hébreu,l’Arabe.
Les grands textes, la poésie, la littérature, le voisinage
métissé…
Marc Alain Ouaknin te donne raison peut être…

« Qui dites vous que je suis?»,
car l’homme n’est pas, il devient.
Ainsi à la question:
«Quel est ton nom?» Dieu répond:
«Je serai ce que je serai».

Ton activité, ton talent de calligraphe…
Et voilà qu’apparaissent ces magnifiques calligrahies?
Ces deux langues, écritures , entre-mêlées, ente-
lacées en un seul paysage graphique, poétique!!!

T’entendre me les raconter, insister sur les similitudes
que tu relevais… Similitudes de sons, de traits, de
cultures, d’harmonie…

Je me souviens de ce jour.
Nous sommes assis l’un face à l’autre.
Tu décolles le dos du fauteuil et avances la tête,
l’approche. Regarder au dessus des lunettes.
T’approcher des mots écoutés les entendre.
Tu t’adosses à nouveau, un doux mouvement de tête
vers le haut un assentiment.
Ta main .
Les doigts osseux , branchus , bleuis de veines
saillantes se posent sur le haut du front…caressent
jusqu’au sommet du crâne.
La main en pommeau.
Ravissement. Regard à la ronde.
Ton étonnement est une offrande !

-Attends!!     Regarde!!
Tu te lèves.
Ton pas est lent.
Tu vas saisir sur une étagère, une table, dans une
armoire, quelques feuillets écrits par toi.
Me les remets.
Le silence qui advient nous sied….

Seul, un mouvement discret de bouche pour en
percevoir davantage la saveur, du bout de la langue, des
langues, devrais je dire .

La saveur peut être de penser et partager que le fond
de choses n’est pas si loin, que le fond des choses est
bleu, dans le désir de la trace in-aperçue dans la chose
déjà vue, insuffisamment regardée.

« la souffrance inutile
ne mène pas
au trésor

de mon réduit de solitude
j’aspire
au verger
d’où le vent de l’aube m’apporte
une bonne nouvelle. »
Saadi Abbas Kiarostami

Tu as disparu, mais je ne t’ai pas perdu.
Mon cher ami.

Tu aurais certainement aimé ce magnifique récit de
Colum Mac Cann « Apeirogon », de ces deux
hommes, deux pères, un israélien, un palestinien, chacun
ayant un enfant mort, et luttant ensemble sur leurs
deux terres !

B.G.