Actualités de l'institut d'anthropologie clinique

Bernard Garaut - 27 juin 2024

Debout sur le vent #16 – L’ENFANT ASSIS

Les récits multiples entendus, partagés, générés, l’effet sur mon propre chaos de ce Dit tumultueux d’un autre,
la douloureuse beauté de leur langue singulière et le télescopage quasi permanent de nos imaginaires…

Le trouble éprouvé alors …quels recours !
La littérature, dans toutes ses formes et contenus, l’écriture, et surtout la poésie
le sont devenus.
D’abord sans le savoir.
Jusqu’à ce qu’alors je le décide.
Croiser dans un même élan,
les récits de vie,
les temps d’existence partagé-e-s
la poésie,
et l’élaboration avec tous les modes que m offraient tous ces éléments.
Tenter chaque fois de faire de l’inextricable, de l’incompréhensible, une façon
d’Etre ensemble. Là. Dans l’existence.

« …Humaniser la folie,

Désaliéner les lieux de soins… » claironnait  François Tosquelles !

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L’ENFANT ASSIS

 

                                                                       IL NE FAUT PAS ALLER BIEN LOIN
                                                                       POUR POUVOIR DIRE
                                                                       QU’ON VIT QUELQUE CHOSE.

                                                                       Robert Walser

L’enfant assis dans le couloir

L’enfant est assis dans le couloir.
Lieu clos.
Aux extrémités, les portes elles aussi sont closes. L’une vitrée, ouvrant sur la
cuisine. L’autre, la porte d’entrée, en bois plein. Au dessus d’elle, trois vitraux
ajourent le couloir de trois arcs en ciel dont la symétrie fluctue avec les zones
d’ombre et les heures de la journée.
Comme pour une trilogie annonciatrice.

Les petits carreaux du couloir dessinent sa géométrie intérieure d’enfant. La petite
automobile rouge qu’il guide suit les bandes bleues, jaunes et grises lui permettant
de passer de l’un à l’autre, parmi tous les creux.

De l’un à l’autre chaque contour de passage, dans l’apostrophe, délimite et illumine
sa voie, son espace, son temps.

Le couloir est un sas.
Le temps y est suspendu
au rythme de l’enfant et
de son automobile.

Le temps est territoire :
les petits carreaux du couloir
séparés les uns des autres par
leur contour en creux dans le
double éclairage, celui, intérieur,
de la cuisine et l’autre, venu de la rue.

Lorsque la porte vitrée s’ouvre, la première dame
apparaît,
vêtue de noir.
Dans le même temps la lourde porte d’entrée
lui fait écho et s’ouvre à son tour.
La deuxième dame apparaît.

Des moutons poussiéreux profitent du courant d’air
pour se défiler et se dérouler le long des plinthes.
Surpris, le temps ne s’écoule plus qu’à toute allure, à l’insu de l’enfant.
Les deux dames ouvrent leur bras, s’y accueillent.
Puis s’y recueillent.
Ce sont la grand-mère et la mère de l’enfant.

Éclats de rire. Elles rient à en pleurer.
D’ailleurs elles pleurent.

L’enfant suspend son geste.
Quelque chose vient de basculer dont il ne peut encore rien dire ou savoir.
Juste une sensation fugace.
Mais tenace …

Son arrière grand-mère vient de mourir.
Il le saura plus tard.
Mais il est témoin. Déjà.
Il n’est pas encore temps de s’occuper de lui…
Comment franchir à gué ce déversoir du temps qu’est devenu son
couloir !
Couloir du temps de quatre générations.

Sa conscience enfantine n’est pas de ce temps là.
Ce sera la première certitude que quelque chose de l’histoire se déroule,
de l’histoire et du temps, et qu’il y a là de l’inéluctable.
Dés lors, il s’essayera à temporiser, à tenter de maîtriser, de prévoir, comme une
idée fixe de la nécessité d’agencer, d’anticiper…
Vous imaginez bien les désillusions que seront les siennes.

L’enfant n’est plus dans le couloir.
Mais dans chaque coursive, galerie, dans chaque passage, il cherchera sa petite
automobile rouge, dans la crainte qu’une nouvelle déferlante ne surgisse,
ne l’emporte,
ne le déporte.

L’oeil scrute, à l’affût, du moindre flocon de poussière en mouvement le long du bas
des murs,
Tel une vague crêtée d’écume.

Et je redis encore, et encore, ce que Albert Camus écrit :
« À partir du moment où il sait, sa tragédie commence. »

B.G.

                                   « C’est ainsi que les crises ont commencé, je crois.
                                   En oubliant trop tout ce qu’il y avait à perdre.
                                   En se voilant la face.
                                   La confiance ne se déclame pas. Il faut l’apprendre.
                                   Tout doucement.
                                   Il faut que quelqu’un d’autre l’apprenne.
                                   A grand coups de mains et de câlins. »

                                   Thomas Vinau.